Où l’innocente manie de la bibliophilie maçonnique révèle l’existence d’une bibliothèque secrète réunie jadis par un adepte oublié
Nous voudrions ici faire état de la découverte de quelques indices révélant l’existence d’une bibliothèque ésotérique jusque-là inconnue. Précisons que ce fonds, rassemblé par un adepte aujourd’hui oublié, le fut à une époque peu portée sur l’ésotérisme, en particulier au sein des Loges. Cela ajoute à l’intérêt de l’affaire. Relatons les circonstances de cette découverte singulière.
Le hasard nous fit acquérir, en 1989, auprès de la librairie Traineau à Versailles, une édition originale de l’ouvrage de Ragon, L’Orthodoxie maçonnique et la Maçonnerie occulte. Cette compilation plus ou moins fiable sur l’histoire des rites, éditée chez Dentu en 1853, fait partie des classiques de la littérature des Loges au XIXe siècle. Elle n’est d’ailleurs que l’un des très nombreux titres publiés par ce Maçon zélé, polygraphe et paradoxal que fut Jean-Marie Ragon. Sans être luxueux, cet exemplaire bénéficie cependant d’une reliure soignée. Le dos en demi-chagrin rouge est orné de quelques dorures au fer assez curieuses. On découvre sur la page de garde la dédicace suivante : « Témoignage d’amitié au T:.Ill:. et P:. F:. Ragaigne 90e:. d. [signé] Fisch:. ». L’ouvrage aurait donc appartenu à un haut dignitaire du Rite de Misraïm. En effet, dans le contexte maçonnique, l’abréviation 90e:. d. signifie 90e degré et renvoie au grade terminal du Rite de Misraïm. En marge du Grand Orient et du Suprême Conseil, ce Rite dit « Égyptien » propose une échelle imposante de 90 grades qui a toujours attiré les Frères adeptes d’une Maçonnerie ésotérique…
Après une longue enquête – de près de quinze ans – nous en savons maintenant un peu plus sur le Frère Jacques Ragaigne. Dignitaire de Misraïm, à la suite d’un contentieux avec les Bedarrides, il constitue la loge L’Orientale au sein du Grand Orient de France, y installant ainsi le Rite Misraïm à côté de celui de Memphis. Il est un fervent partisan du GADLU et stigmatise les Frères rationalistes qui commencent à le contester. Esotériste, il est l’auteur de manuscrits sur la Kabbale et l’Alchimie illustrés de dessins saisissants. Artisan du Faubourg, républicain convaincu, il est le seul dignitaire du Grand Orient qui s’engage jusqu’au bout dans la Commune de Paris.
Retrouvez l’intégralité de cette véritable enquête policière dans le passé – relatée dans tous ses détails ! – dans le chapitre 12 de :
Curiosités Maçonniques : Énigmes, intrigues et secrets dans les archives des Loges, préface de Jean-Pierre Lassalle, Éditions Jean-Cyrille Godefroy, Paris, 192 p., 20 € http://www.detrad.com/contents/fr/p4393_Curiosit_s_ma_onniques_-_Pierre_Mollier.html
Jules Perahim : Surréalisme et occultisme au MAMCS
Après la magnifique exposition sur L’Europe des esprits en 2011, le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg (MAMCS) nous propose, jusqu’au 8 mars 2015, une manifestation importante sur Jules Perahim (1914-2008), un grand nom – un peu oublié – du Surréalisme. Perahim appartient à cet étonnant groupe du Surréalisme roumain qui rassemble, dans le Bucarest des années 30, de très jeunes étudiants, poètes et peintres, qui se lancent dans l’avant-garde artistique. Il est aussi le plus jeune d’entre eux et – véritable Rimbaud – peint, entre 16 et 18 ans, des toiles inspirées comme cet envoutant « Un peuplier traverse la mer » – en 1932, il a 16 ans – qui est l’œuvre d’un véritable voyant. Comme son ami Victor Brauner et beaucoup de surréalistes roumains, Perahim est très intéressé par l’occultisme et conçoit son rôle d’artiste comme celui d’un medium qui doit faire voir d’autres mondes qui existent en parallèle au nôtre. Mais, à la différence de Brauner par exemple, il apporte un soin méticuleux au dessin et aux techniques, on pourrait presque voir dans son œuvre un « hyperréalisme surréalisme », cela donne une grande force à ses visions. Si le travail de Perahim est marqué du sceau de l’étrange, sa vie elle-même est extraordinaire. Ces jeunes gens anticonformistes et turbulents sont d’abord poursuivis par les régimes conservateur puis fasciste de la Roumanie des années 1930. Ils rallient bien sûr les mouvements révolutionnaires et communistes. Mais sont vite en but à l’hostilité de l’orthodoxie stalinienne dans la Roumanie « libérée » de l’après-guerre. Après deux décennies de brimades, il a du renoncer à peindre, Perahim arrive finalement à rejoindre Paris en 1969. Un des grands apports de l’exposition est de présenter cette dernière période parisienne où l’artiste est influencé par les nombreux voyages qu’il fait en Afrique. Cette expérience projette une lumière chaude sur des paysages imaginaires qui jusque-là baignaient plutôt dans une brume froide. Le MAMCS abrite déjà un remarquable fonds Brauner, espérons que cette belle exposition y annonce l’arrivée d’un fonds Perahim. Le plus oriental de nos Musées d’Art Moderne pourrait ainsi proposer au public une fenêtre sur ce mouvement artistique important que fût le surréalisme roumain… ou franco roumain car les tumultes de l’histoire conduisirent beaucoup de ces artistes en France. Alors, si vous voulez voir du vrai merveilleux, quittez les allées encombrées du marché de Noël et conduisez vos pas vers le Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg. Perahim, La parade sauvage, Musée d’Art Moderne et Contemporain de Strasbourg, jusqu’au 8 mars 2015