Papus au sommet à Drouot
L’affaire faillit passer inaperçue. En fin de semaine dernière cependant, le bruit commença à se répandre parmi les historiens de l’ésotérisme : une partie des archives de Philippe Encausse allait être mise aux enchères. En effet, ce lundi 13 avril 2015, Maître Vincent Wapler dispersait en salle 7 de l’hôtel Drouot, une série de lots provenant de la succession du fils de « Papus ». Première mauvaise surprise, votre serviteur n’était pas le seul au courant et d’emblée on reconnaissait un certain nombre de visages amis mais que, pour l’occasion, on aurait préféré savoir ailleurs à ce moment ! Réaction il faut le dire partagée par la plupart des assistants « avertis » qui se guettaient du coin de l’œil. Les premiers numéros présentaient des éléments de sa bibliothèque « profane ». Plusieurs manettes entières d’ouvrages de « La Pléiade » rappelaient l’homme cultivé. Suivaient des livres consacrés au sport, sa grande passion. On pouvait ensuite découvrir des lots de papiers de la famille Encausse et même les instruments de médecin et les décorations du docteur Philippe Encausse qui fut, rappelons-le, un haut-fonctionnaire du Ministère de la Jeunesse et des Sports et joua un rôle important dans l’émergence de la médecine du sport en France.
Mais l’intérêt principal de la vente résidait bien sûr dans une série de documents et de pièces touchant l’histoire de l’Ordre Martiniste et son fondateur, son père le docteur Gérard Encausse dit « Papus ». Ainsi l’exceptionnel lot 45 proposait plusieurs accessoires symboliques utilisés dans le rituel martiniste, le bijou martiniste de Philippe Encausse et le typon de son ex-libris, une série de bijoux maçonniques dont sa croix de CBCS, un album rassemblant ses diplômes dans différentes organisations martinistes et maçonniques et – surtout – une série de documents internes à l’Ordre martiniste dont des listes de ses membres avec leurs dates de réceptions aux différents grades dans les années 1950 et 1960. Estimé « 150/200 € », l’ensemble s’envola à… 4500 € au marteau (soit 5674,50 € avec les frais) !
On put ensuite découvrir une galerie de portrait de Papus dont la plupart étaient connus pour avoir été publiés dans différents ouvrages. Le – très mystagogique – portrait du Maître par Octave Guillonnet, qui fut présenté au salon de 1907, estimé 4 à 600 €, suscita une belle bataille avant de s’arracher à 3600 € (4540 € frais compris). Toutes les autres pièces virent leurs adjudications se faire entre 2 et plus de 10 fois l’estimation.
Voir le catalogue http://www.wapler-auction.fr/html/index.jsp?id=23289&lng=fr&npp=10000 les lots provenant de Philippe Encausse relèvent des n°26 à 68.
Une reliure maçonnique dédiée à Murat à Fontainebleau
Le Musée Napoléon 1er du Château de Fontainebleau présente, jusqu’au 29 juin 2015, une très intéressante exposition intitulée Pie VII face à Napoléon : la tiare dans les serres de l’Aigle. Elle a pour objet les relations tumultueuses qu’entretint Napoléon avec le Pape. D’un côté il rétablit par le Concordat la prééminence de l’église romaine en France mais, de l’autre, il entendait bien que celle-ci soutienne et relaye sans états d’âme la politique de l’Empereur. Les évêques ne devaient-ils pas être ses « Préfets violets » ? La manifestation consacre une petite séquence à la franc-maçonnerie comme l’un des contrepoids de cette politique religieuse. C’est dans ce cadre que l’on découvre une pièce maçonnique remarquable. Il s’agit d’une plaquette maçonnique émanant de la R:.L:. Sainte Joséphine et provenant de la bibliothèque de son Vénérable d’Honneur, le Maréchal Murat. Elle a été magnifiquement reliée en maroquin rouge à longs grains et portent la dédicace :
« L[oge] Ecossaise de Ste Joséphine au Mal:. F:. Murat V:.ble d’Honneur »
Le texte de l’opuscule relate l’intégration de la loge au Grand Orient en 1805 dans le sillage du Concordat [maçonnique] de décembre 1804 – qui unit le Rite Écossais Ancien et Accepté au Grand Orient de France – et son installation par les Grands Officiers de l’obédience. Parmi les membres de Sainte-Joséphine on peut citer le général Massol de Monteil, l’inspecteur général de la gendarmerie Radet – que l’on retrouvera en bonne place dans l’aventure napolitaine – le peintre Isabey ou le « pharmacien de Napoléon » Cadet de Gassicourt. On note aussi quelques patronymes italiens et une forte représentation de ces réfugiés de Saint-Domingue qui jouèrent un grand rôle dans les hauts grades sous l’Empire, notamment dans les débuts du Suprême Conseil du Rite Écossais Ancien Accepté. C’est probablement à eux que Murat doit les hauts grades dont il se prévaut dans la plaquette : « S:.P:.R:.C:. et G:. Inspec:. R:.C:. et Inq:., Command:. 33e:. degré » qu’il faut lire – en remettant certaines lettres dans l’ordre ! – Souverain Prince de Rose-Croix (IVe Ordre du Rite Français), Grand Inspecteur Inquisiteur Commandeur (grade terminal du Rite Écossais Philosophique) et Souverain Grand Inspecteur Général du 33e degré (dernier grade du Rite Écossais Ancien et Accepté).
Si les liens entre le Grand Orient et le Premier Empire sont bien connus, en revanche les objets maçonniques personnels qui témoignent de la vie maçonnique des grands dignitaires de l’Empire sont rares. Il y a une quinzaine d’années la librairie Rossignol avait proposé un rituel du grade alchimique de Chevalier de la Toison d’Or relié au chiffre de Cambacérès. En décembre 2014, on a vu passer à Drouot un annuaire du Grand Orient aux armes de l’Archichancelier. La plaquette de Sainte-Joséphine a été acquise par le Musée Napoléon 1er lors de la dispersion de la collection Gérard Souham en décembre 2008 (n°67).
Bibliographie :
– Pierre Mollier, « Notes sur la carrière maçonnique de Joachim Murat », Cavalier et Roi, revue des amis du Musée Murat, n°43, année 2012, p. 56-64.
– Pie VII face à Napoléon : la tiare dans les serres de l’Aigle, catalogue de l’exposition, RMN-Château de Fontainebleau, Paris, 2015, 248 p., 39 € (la plaquette est décrite p. 86).
– Sur l’annuaire du Grand Orient aux armes de Cambacérès vendu à Drouot en décembre 2014 : https://www.hiram.be/les-pieces-exceptionnelles-nont-pas-de-prix/