Un ecclésiastique féministe et franc-maçon en 1788
Une loge symbolise presque à elle seule les liens entre les Lumières et la franc-maçonnerie : Les Neuf Sœurs. Fondée par Helvetius, puis dirigée par l’astronome Jérôme Lalande, on y retrouve une bonne partie du Paris intellectuel et artistique des années 1770-1780. La plupart des membres accueillirent avec ferveur les « idées nouvelles de 1789 », comme le Frère abbé Jacques Rangeard (1723-1797) qui fut d’ailleurs député d’Angers aux États généraux. Dans les premières années de la Révolution, elle créa une « Société nationale des Neuf Sœurs » pour participer au débat public et publia une revue. On y découvre un poème du Frère Rangeard qui est une défense des femmes et une profession de foi pour l’égalité des sexes. Dans une petite note, il nous dit l’avoir écrit en 1788, un an avant « les événements ». C’est une pièce, nous semble-t-il inconnue, à verser au dossier de l’histoire du féminisme. Nous remercions notre ami Laurent P. de nous avoir signalé ce texte intéressant.
Révolution frappante
Dans l’état et les mœurs des femmes
L’Homme du créateur fut, comme on le sait, l’ouvrage
Sous ce nom d’homme sont compris
Les deux sexes formés, chacun, à son image
L’un d’eux eut la force en partage
L’autre, de la beauté connaissant tout le prix,
En fit son premier apanage
[…]
La femme, disait-on, devait en conséquence
De l’homme son aîné, son oracle, son roi
Suivre les volontés, lui soumettre sa foi,
Et d’un maître absolu chérir sa dépendance
De la tous ces crimes divers
De la loi du plus fort effets impardonnable
[…]
De deux êtres égaux cette inégalité
Qu’établissent entr’eux tous nos codes barbares
Et de la ce pouvoir, cet empire usurpé
[…]
Imbéciles prôneurs des antiques usages
Nous regrettons l’esprit, les mœurs des premiers âges
[…]
Le monde gouverné se couvrit autrefois
De tristes préjugés, d’erreurs et de ténèbres
Mais il est dissipé le prestige odieux
Qui longtemps du beau sexe a fasciné les yeux
Tous les goûts, tous les arts ont éclairé son âme
Le génie à sa voix et le suit et l’enflamme
[…]
Le beau sexe s’est élevé
Jusqu’à la sublime épopée
Ainsi par le talent les deux sexes rivaux
A la gloire tout deux marchent à pas égaux
Concluons avec assurance
Qu’enfin de la raison l’homme écoutant la voix
Doit abaisser sa morgue, et réformer ses lois,
Du beau sexe chérir la nouvelle existence
Et respecter les droits dont le ciel l’a doté
Non pas sans doute encore à la prééminence
Mais du moins à l’indépendance
Et sur-tout à l’égalité
La première prière des francs-maçons français
En 1737, le premier ministre de Louis XV, le cardinal Fleury, décide d’interdire la franc-maçonnerie. Il croit y voir un nouveau masque du Jansénisme, son obsession. Cette interdiction se traduit par des descentes de police dans les quelques loges qui continuèrent un temps à travailler. Le fonds Joly de Fleury de la Bibliothèque nationale conserve les pièces saisies lors de ces opérations. Ce sont les plus anciens documents maçonniques français. Parmi ces papiers, une prière notée maladroitement sur une feuille volante comme aide-mémoire, sans doute la première prière des francs-maçons français.
« Dieu éternel le grand architecte et inventeur de l’univers créé ; fait que nous, tes serviteurs, qui sont déjà entrés dans la très noble, ancienne et honorable fraternité, que nous puissions être solides et pensifs et toujours avoir une souvenance des choses secrètes et bénies que nous avons appris sur nous ; et fait que cette personne qui se présente pour être fait maçon, qu’il soit un véritable frère parmi nous, fait que lui et nous tous vivions comme il convient aux maçons. Et vous , Ô Dieu, donnez-nous une intelligence en toutes nos entreprises, donnez-nous des forces pour supporter toutes difficultés, et beautés pour orner la grande loge dans le Royaume du Grand Jéova . Amen »
Un serviteur dans la très noble, ancienne et honorable fraternité