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Quoi de neuf dans la nouvelle édition du Régulateur ?

Regulateur-A-1Vingt-cinq ans après le début de ces recherches et presque quinze ans après la première édition de ce livre, dans quelle perspective s’inscrit cette deuxième édition ? Nous avons certes pu préciser ou enrichir quelques points mais, globalement, l’histoire du Régulateur elle-même n’a guère changée. Aucune découverte nouvelle ne nous a conduit à modifier significativement la chronique – parfois fastidieuse ! – de la fixation d’un rituel de référence par les Chambres du Grand Orient de France. De même, il n’y a pas vraiment d’éléments nouveaux sur les épisodes touchant à la diffusion du texte aux Loges, les débats sur l’impression, ou les réactions outragées à son édition « non autorisée » en 1803 par l’un des premiers marchands spécialisés en articles maçonniques.

En revanche, nous avons sensiblement amendé notre approche sur les sources et l’histoire des trois premiers grades du Rite Français avant sa fixation par le Grand Orient de France. À la suite de notre Maître, René Guilly, nous insistions sur la filiation entre les « Modernes » anglais et le Rite Français. Dès les années 1960, un des grands apports du travail de René Guilly avait été de montrer que les différences – les oppositions – entre « Modernes » et « Anciens » étaient la clef d’interprétation principale et la grille de lecture fondamentale pour comprendre tous les rituels du XVIIIe siècle (pour les grades symboliques). Cela reste globalement vrai… mais doit néanmoins être aujourd’hui nuancé, notamment à la suite des derniers développements de la recherche maçonnique britannique. Il y a un lien fort et incontestable avec les premiers rituels des Modernes élaborés par la Première Grande Loge dans les années 1720 et 1730, ceux, par exemple, que présente la divulgation Masonry dissected en 1730. Mais par la suite, surtout autour de 1760, les rituels des Modernes eux-mêmes vont évoluer et s’enrichir d’éléments… empruntés aux Anciens. Il est même probable qu’au début du XIXe siècle, peu avant l’« Union de 1813 », les deux traditions rituelles s’étaient beaucoup rapprochées. Si l’on peut toujours dire que le Rite Français est la version française du rite des Modernes… il faut préciser, des premiers Modernes.

Cette affirmation doit elle-même être complétée. En effet, si les Français ont gardé la structure de la Loge Moderne et la base des rituels et de l’instruction qui en découle… ils l’ont assez vite enrichie d’autres éléments symboliques ; donnant par là, dès le milieu du XVIIIe siècle, des caractères propres et une identité autonome au Rite Français. De même, comme nous avons essayé de le montrer par ailleurs, le XVIIIe siècle connaît de nombreuses variantes du Rite Français ; certaines marquées par une atmosphère incontestablement religieuse, d’autres au contraire assez sécularisées.

Aussi l’équation, souvent avancée, « esprit des Lumières – Rite des Modernes – Rite Français » est une belle formule… mais l’historien doit la considérer avec méfiance. Elle est sans doute vraie pour Le Régulateur, mais beaucoup plus sujette à caution pour d’autres versions du Rite Français. Ainsi le Corps complet – dont nous proposons maintenant un facsimilé des trois grades – un texte tout à fait représentatif de l’un de ses courants au XVIIIe siècle, et non des moindres, paraît bien peu marqué par l’esprit des Lumières ! Finalement, comme souvent en histoire, on doit éviter les analyses « essentialistes » qui assignent à l’objet d’étude – ici le Rite Français – des caractères intemporels et sortis de leurs contextes.

Dernière réflexion, notre regard sur Le Régulateur a lui-même évolué depuis nos premières recherches. À l’époque, nous le considérions comme le modèle par excellence du rituel du XVIIIe siècle. Une sorte de joyau – un diamant pur – de la tradition maçonnique française du siècle des Lumières. Aujourd’hui, avec vingt ans d’expérience dans l’étude des rituels, nous le considérons comme un texte intermédiaire. Il plonge certes ses racines dans le XVIIIe siècle et en est incontestablement un produit – le texte est adopté en 1785. Mais, par de nombreux points, il annonce aussi les rituels du XIXe siècle, notamment par ces commentaires moraux qui accompagnent plusieurs séquences des cérémonies et qui envahiront les textes maçonniques du XIXe siècle.

Plus complexe, Le Régulateur du Maçon n’en est que plus intéressant. Cette nouvelle approche lui donne une place encore plus centrale dans l’histoire de la franc-maçonnerie en France.

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Franc-maçonnerie et Illuminisme au XVIIIe siècle, le nouveau Renaissance Traditionnelle (n°190-191)

RT 190-191 Couverture Print-1Ce numéro double de l’année 2018 vous propose trois études novatrices et beaucoup d’éléments inédits sur un sujet classique mais toujours passionnant : les liens entre l’illuminisme du XVIIIe siècle et la franc-maçonnerie. Comme le montre le Discours de Ramsay – sur lequel nous sommes longuement revenus dans notre dernière livraison – dès les années 1730, les Français ont, si ce n’est créé, du moins beaucoup développé l’association entre initiation et franc-maçonnerie. Cette association étroite a conduit nombre de courants ésotériques du Siècle des lumières à prendre une forme maçonnique et à solidement s’arrimer aux Loges. Les lecteurs de R.T. pensent naturellement à Martinès de Pasqually et à son Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers, mais on pourrait aussi citer les divers rites de la Maçonnerie hermétique ou d’autres formes de Maçonnerie théosophique. Cette Maçonnerie illuministe va être évoquée ici au travers de trois figures, fort différentes, mais toutes singulières.

Antoine Faivre nous propose d’abord un très beau dossier sur une personnalité célèbre, dans notre domaine, mais finalement mal connue : Touzay-Du Chenteau, l’auteur de l’extraordinaire Carte Philosophique. Ces quatre grandes planches ésotériques – de près d’un mètre sur quatre-vingts centimètres ! – sont certainement l’une des productions les plus curieuses de l’illuminisme du xviiie siècle. Nous avons montré que le Souverain Chapitre Métropolitain en conservait précieusement les cuivres. Le Philalèthe Savalette de Langes présentait Du Chenteau comme son premier Maître.

Personnalité bien attachante que Jean-André Périsse-Duluc, figure typique du mysticisme lyonnais, comme son ami Jean-Baptiste Willermoz : bourgeois modéré et avisé à la ville mais théosophe ardent dans son intérieur ! Raphaël Benoit nous fait découvrir cet homme que l’on croise si souvent dans l’histoire du Régime Écossais Rectifié, mais qui est resté dans l’ombre de Willermoz. Sur un autre plan, on notera tout l’intérêt de ses confidences à Versailles sous la Révolution. Trois des quatre députés lyonnais sont non seulement Maçons, mais appartiennent à la même Loge – La Bienfaisance – un cas d’école pour les disciples de l’abbé Barruel ! Mais les lettres de Périsse-Duluc nous révèlent que, loin de faire corps, ils sont profondément divisés par les clivages politiques du « monde profane », aux dépens même de ce qui nous apparaît comme la plus élémentaire fraternité. Après l’épisode de l’Agent inconnu, un mystique lyonnais ne pouvait pas passer à côté des prophétesses de la Révolution. On retrouve tout naturellement Périsse-Duluc aux côtés de Dom Gerle dans l’affaire Suzette Labrousse.

Le Frère Louvain de Pescheloche est surtout connu des historiens du Rite Écossais Ancien et Accepté comme l’un des premiers « 33» reçus à Paris par Grasse-Tilly – le 23 octobre 1804 – et un héros de la Maçonnerie d’Empire « mort à Austerlitz ». Sensible à cette glorieuse fin, Jacques Tuchendler est parti sur les traces du Frère de Pescheloche et, à sa grande surprise, derrière le fougueux major de Dragons de l’Empire, il a découvert un Maçon théosophe impliqué dans les épisodes mystiques de la Révolution française. Dans cette véritable aventure, on croise des noms qui nous sont familiers : l’abbé d’Alès d’Anduze, les Chefdebien etc. Au-delà de l’histoire maçonnique, Jacques Tuchendler apporte aussi des éléments nouveaux sur Suzette Labrousse, sa vie et son itinéraire. Et, à l’issue de cette étonnante saga, on découvre l’existence d’une communauté soixante-huitarde prônant « la paix et l’amour » sous la Restauration !

Ces recherches soulignent, une fois de plus, les liens forts entre la Maçonnerie spiritualiste et les formes religieuses non-conventionnelles. On sait l’affinité des Loges avec les petites églises et les tentatives de réformes religieuses au XIXe siècle, on découvre que c’était déjà le cas à la fin du XVIIIe.

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Le Régulateur du Maçon enfin réédité

9791024202792.inddAu tout début du XIXe siècle, un curieux ouvrage paraissait sous le nom de Régulateur du Maçon. Cette publication imprimait en fait les rituels de la franc-maçonnerie tels que fixés par le Grand Orient de France au milieu des années 1780. Celui-ci émit d’ailleurs de vives protestations et tenta de limiter l’audience du livre sacrilège. La vigueur même de la réaction est un indice sûr de l’importance du texte. Ouverture et fermeture des travaux maçonniques, cérémonies de réception aux trois grades d’Apprenti, Compagnon et Maître, agapes rituelles… tous les mystères de l’Ordre y étaient décrits. C’est donc un document essentiel pour comprendre la franc-maçonnerie du Siècle des lumières et la nature profonde du travail des Loges dans cette période fondatrice. D’autant que les sources du Régulateur le rattachent aux commencements mêmes de la franc-maçonnerie spéculative dans les années 1720 et, au-delà, aux usages de la vieille Maçonnerie d’Écosse.

Tout juste sorti des presses pour cette rentrée 2018, ce livre est une nouvelle édition corrigée et augmentée de l’ouvrage que nous avions publié en 2004 : Le Régulateur du Maçon ; la fixation des grades symboliques du Rite Français : histoire et documents. Les principaux ajouts par rapport à la première édition touchent la partie consacrée à la formation du Rite Français au XVIIIe siècle. On y a notamment intégré les avancées récentes de l’érudition maçonnique anglaise sur l’histoire des Moderns et des Antients en Angleterre – le Rite Français se situant dans le sillage des Moderns. On s’est aussi attaché à étudier plus en détail les origines du Corps complet de Maçonnerie, dont on sait maintenant que c’est le premier rituel « officiel » du Rite Français, probablement imprimé par l’une des factions de la Grande Loge au début des années 1770. Au vu de l’importance nouvelle que prend ce texte, nous en présentons un fac-similé complet au côté de celui du Régulateur. Sinon, l’ouvrage propose toujours de nombreux documents sur les débats des Chambres du Grand Orient autour de la question des rituels : procès-verbaux des échanges, rapports, circulaires etc.

Avec Les hauts grades du Rite Français ; Histoire et textes fondateurs, le Régulateur des Chevaliers Maçons (Dervy, 2017), le lecteur peut maintenant bénéficier d’un panorama complet de la fixation du Rite Français au XVIIIe siècle.

La redécouverte des sources, de leur contexte, du complexe processus de fixation des rites est aussi une tentative exigeante de compréhension du caractère particulier de la franc-maçonnerie… et de la dimension initiatique de l’Ordre. Derrière son appareil scientifique, l’histoire est fondamentalement une réflexion sur l’identité et donc une manière de vivre cette identité. Aussi, refaire par l’esprit le cheminement qui a abouti à la fixation du Régulateur du Maçon c’est entreprendre un voyage – initiatique – au cœur de la tradition maçonnique.

Pierre Mollier, Le Régulateur du Maçon, les grades symboliques du Rite Français : histoire et textes fondateurs, préface d’Alain Bauer, Éditions Dervy, Collection Renaissance Traditionnelle, Paris, 2018, 488 p., 28 €.