Les saints dans l’emblématique des « Maçons de pratique » en France au seuil du XVIIIe siècle

Mon dernier article – publié dans les « Cahiers Villard de Honnecourt » – est consacré aux saints-patrons dans les blasons des communautés de Maçons à l’extrême fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe. En voilà l’introduction et un extrait.
On sait combien il est difficile de cerner précisément les relations des premiers francs-maçons « spéculatifs » avec les maçons « opératifs ». En France, la maçonnerie « opérative » ne semble guère avoir intéressé les francs-maçons du XVIIIe siècle tout imbus des origines chevaleresques de l’ordre avancées par Ramsay. Mais, ne serait-ce que par l’appellation de « Maçonnerie » et au travers des éléments mis en œuvre dans les rituels – évocation des outils, des plans du Temple, des pierres brutes et « cubiques » etc. –, le métier de maçon ou, a minima, l’architecture, ne sont pas complètement absents de l’horizon des loges. De plus, en trois siècles, l’imaginaire maçonnique s’est beaucoup enrichi. Le XIXe siècle romantique a magnifié les « bâtisseurs de cathédrales ». Au XXe siècle, l’œuvre du pérénialiste René Guénon a vu dans l’« art du trait » et « les secrets des opératifs » l’authentique ésotérisme maçonnique. Aussi, les francs-maçons français témoignent aujourd’hui d’un grand intérêt pour leurs lointains cousins tailleurs de pierre. Voilà de bonnes raisons de s’interroger sur l’emblématique des « maçons de pratique » au moment où émerge en Europe la franc-maçonnerie spéculative. Dans cette perspective, nous voudrions utiliser ici un document tout à fait passionnant : l’« Armorial général de France » de 1696. Celui-ci apporte en effet des informations inédites sur l’emblématique du métier de maçon à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle. Les saints patrons y tiennent notamment une place de choix.
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Les Quatre Saints Couronnés sont clairement représentés dans plusieurs blasons de maçons de l’Armorial. Mais le thème donne lieu à des traitements iconographiques très différents. Par définition le dessin héraldique n’est pas réaliste mais au contraire stylisé. C’est un langage pictural codé plus qu’une représentation. C’est pourquoi on peut qualifier de fort peu héraldiques les armoiries des maçons de Montpellier qui « Porte[nt] d’azur a quatre Martirs de carnation couronnés d’or et vetus de pourpre adextrés d’un compas d’or et senestrés d’un Equairre de meme ». Il s’agit sans doute d’une bannière « mise en armoiries ». Au contraire, à l’autre bout du pays, à Dunkerque, les maçons sont dotés d’un blason qui développe un beau et riche dessin héraldique : « d’azur a deux palmes d’or passées en sautoir liées en cœur de gueules et accompagnées de quatre couronnes d’or, doublées de gueules, une en chef, deux aux flancs et une en pointe ». Les quatre saints sont allégoriquement représentés par leur couronne et la composition met en valeur la palme du martyre. La stylisation est encore poussée plus loin dans les armoiries des « Maîtres Massons » de Cluny en Bourgogne : « d’argent à quatre couronnes de gueules cantonnées » (Beaune en propose une variante : « d’or à 4 couronnes cantonnées de gueules »). En se conformant à l’esprit du langage héraldique, mais en utilisant toutes ses ressources, le blason « aux Quatre couronnés » le plus sophistiqué de l’Armorial est celui de : « la communauté des Maîtres Massons et tailleurs de pierre de la ville de Dijon [qui portent] : D’argent à quatre lions de gueules couronnées d’azur et tenant chacun de leur patte dextre une palme de sinople »! Les lions ajoutent un symbole de la force de la foi à la palme du martyre.
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Vous pouvez retrouver l’ensemble de l’étude « Les saints dans l’emblématique des « Maçons de pratique » en France au seuil du XVIIIe siècle » dans le n°125 des « Cahiers Villard de Honnecourt », « Les Saints Patrons des Francs-maçons », qui vient de sortir.
Il y a 250 ans : Les travaux oubliés de la « Commission des huit ».

La mort du comte de Clermont en 1771 est l’occasion pour Sigismond de Montmorency-Luxembourg d’entreprendre une réforme en profondeur de la première Grande Loge de France. Ce long processus, qui s’étalera sur deux ans, connaît plusieurs étapes. L’une d’entre elles est la fusion de l’une des plus importantes organisations de hauts grades – la Souveraine Mère Loge Écossaise du Grand Globe Français, l’ancien Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident des années 1760 – et de la Grande Loge. Une commission de huit membres, composés d’Écossais et de représentants de la Grande Loge, se réunira pendant l’année 1772 pour élaborer les règlements de cette nouvelle structure. C’est la « Commission des huit » qui rédige donc la première version des statuts du futur Grand Orient, texte qui sera discuté et validé par les délégués des Loges au printemps 1773. La commission se réunit à plusieurs reprises chez le duc de Montmorency-Luxembourg au château de l’Arsenal. A l’occasion des journées du patrimoine on pouvait découvrir la pièce qui accueillit ces travaux dans la partie XVIIIe siècle subsistante de la Bibliothèque de l’Arsenal. Il s’agit du « Salon de musique », récemment restauré, avec ses magnifiques boiseries Louis XV. C’est donc là que se retrouvèrent, pour les Écossais : l’astronome Lalande, le baron de Toussainct – futur secrétaire général du Grand Orient –, et Labady ; pour la Grande Loge : Daubertin, conseiller du Roi, son secrétaire général, Bruneteau, son Grand Orateur. La commission comptait aussi Carbonnel, avocat au Parlement de Paris, l’un des plus anciens Maîtres de Paris, il avait participé à l’élection du comte de Clermont en 1743 ; Lacan, maître en chirurgie et Lucas de Boulainvilliers. Elle travailla bien sûr sous l’autorité du duc de Montmorency-Luxembourg.

Le duc de Montmorency-Luxembourg résida au « Château de l’Arsenal », chez son beau-père le marquis de Paulmy, de 1771 à la mort de celui-ci en 1787. Le bras de Seine que l’on voit a été comblé au XIXe siècle et la Bibliothèque de l’Arsenal est aujourd’hui longée par le Boulevard Morland.