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Les trésors du Ve Ordre maintenant accessibles

Arche-Ve-Ordre-LegLes éditions Conform viennent de publier un important travail de Colette Léger. Celle-ci a en effet transcrit les rituels des quatre-vingt-un grades de « l’Arche du Ve Ordre » du Souverain Chapitre Métropolitain aujourd’hui conservés dans le fonds maçonnique de la Bibliothèque nationale. Elle met ainsi à la disposition des chercheurs et des amateurs éclairés une documentation particulièrement importante pour l’histoire des hauts grades à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle. Les statuts du Grand Chapitre Général de 1784 font référence, dans leur article 29, à un « 5e Ordre [qui] comprendra tous les grades physiques et métaphysiques ». On sait que celui-ci n’a finalement été avant la Révolution qu’une sorte de secrétariat général du Grand Chapitre sans aucun contenu rituel. C’est sous l’Empire, notamment face à la concurrence du Rite Écossais Ancien et Accepté, que les dignitaires du Souverain Chapitre Métropolitain lui donnent un contenu initiatique pour proposer aux Frères un prolongement du travail maçonnique au-delà du grade de Rose-Croix. Nous avons raconté les détails de ce projet dans notre histoire des hauts grades du Rite Français. À partir de 1807, à côté des quatre premiers Ordres d’Élu, d’Écossais, de Chevalier d’Orient et de Rose-Croix, le Souverain Chapitre Métropolitain restaure donc en son sein un Ve Ordre dont la fonction est de rassembler, conserver et étudier tous les aspects des hauts grades. Ceux-ci sont classés en neuf séries comprenant chacune neuf grades pour arriver au nombre symbolique de quatre-vingt-un. Notons toutefois que les animateurs du Ve Ordre ne s’arrêtèrent pas à ces quatre-vingt-un grades et continuèrent de rechercher des rituels qu’ils rangèrent alors sous la catégorie de « à classer ». Ces « Cahiers » – nom usuel donné aux rituels manuscrits à l’époque – étaient rangés dans un meuble à neuf tiroirs – l’Arche du Ve Ordre – placé au centre du temple pendant les travaux.

Il est important de bien comprendre que ces quatre-vingt-un grades ne constituent pas un système maçonnique. Il ne s’agit pas pour les membres du Ve Ordre de « passer » ces grades les uns après les autres, soit « par communication », soit dans le cadre d’une cérémonie, comme cela pourrait, par exemple, être le cas avec les quatre-vingt-dix grades du Rite de Misraïm. L’Arche du Ve Ordre est avant tout une bibliothèque initiatique, une sorte de conservatoire. D’ailleurs, le premier trait qui frappe le lecteur est la grande hétérogénéité de cet ensemble. On retrouve d’abord, dans la première série, les trois grades symboliques. Le candidat au Ve Ordre était bien sûr censé les avoir reçus depuis longtemps. La suite reprend plus ou moins l’« Ordre analytique connu » auquel faisait référence la Chambre des Grades du Grand Orient dans ses débats de 1782. La deuxième série présente donc neuf grades d’Élus (en écho au Ier Ordre) ; la troisième, des grades divers plus ou moins liés à l’Élu ; les quatrième et cinquième séries des grades d’Écossais – qui sont sans doute les matériaux du IIe Ordre – et ainsi de suite. Cette hétérogénéité apparaît même matériellement puisque ces « cahiers » ont des origines et des aspects très différents comme cela apparaît au premier regard avec la grande variété des papiers, des formats et des écritures. Le titre de l’ouvrage – Les 81 grades qui fondèrent au Siècle des lumières le Rite Français – nous avait d’abord paru un peu « marketing ». Il est en fait très judicieux. Cette Arche du Ve Ordre c’est finalement, regroupée et structurée, la documentation rituelle qui a alimenté la réflexion et les travaux du Grand Chapitre Général puis du Souverain Chapitre Métropolitain depuis le début des années 1780. Quand, par exemple, le 23 avril 1782, la Chambre des Grades étudie le « Sublime Écossais d’Angleterre », le document sur lequel elle travaille est très probablement le rituel manuscrit de « Sublime Écossais Anglais » que l’on retrouve classé en 1807 comme 38e grade dans la cinquième série. Il est émouvant de réaliser qu’un certain nombre de ces « cahiers » viennent de la bibliothèque de Roëttiers de Montaleau (en relisant précisément les comptes rendus des travaux de la Chambre des Grades on peut en identifier assez sûrement quelques-uns).

Même si l’Arche du Ve Ordre n’est finalement qu’une bibliothèque, elle a néanmoins une forte dimension initiatique. Elle représente un projet que l’on rencontre dans plusieurs milieux maçonniques dès la fin du XVIIIe siècle – notamment chez les Philalèthes, mais pas uniquement – et qui va prospérer dans le premier tiers du XIXe. Projet qui consiste à constituer une encyclopédie des connaissances maçonniques, connaissances dont on suppose qu’elles sont éparses dans la grande variété des grades. Le premier travail est donc de les rassembler. On peut distinguer des traces de cette idée dans le Misraïm d’Armand Gaborria, dans les « fastes initiatiques » de Ragon (voire les analyses pionnières et stimulantes de Claude Rétat)… ou dans les trente hauts grades du Rite Écossais Ancien et Accepté.

Le lecteur est entraîné dans un voyage onirique au sein d’un véritable labyrinthe de grades et de rites. L’amateur de curiosités fera sont miel dans la « 9e série » avec le « Suprême Commandeur des Astres », le « Chevalier de la Cabale » ou le « Zodiaque Maçonnique » et ses « Chevaliers du Bélier, du Taureau, des Gémeaux etc. ». Le Maçon rationaliste, que ces sommets effraieraient, pourra se rabattre sur l’« Initié dans les Profonds Mystères » (7e série, 62e grade) qui explique au récipiendaire… que « les différents Écossais sont inutiles, que l’Élu Suprême est ampoulé, que le Chevalier d’Orient est futile, que celui d’Occident est dépourvu de sens commun, que le Souverain Commandeur est indécent, le Prince Rose-Croix ridicule… » (T. II, p. 79)… et que tous les hauts grades ne sont que des lubies déraisonnables !

En conclusion, il faut saluer le travail de bénédictin – de bénédictine en l’occurrence – de Colette Léger. Cette transcription a certainement nécessité plusieurs années d’efforts soutenus. Il faut aussi rendre hommage à la qualité de l’édition et notamment de l’iconographie qui propose de nombreuses reproductions des manuscrits (avec beaucoup de tableaux de loge). Enfin, l’ouvrage est loin de ne s’adresser qu’aux lecteurs intéressés par le Rite Français. Par leur variété, les matériaux rassemblés dans l’Arche du Ve Ordre concernent aussi l’histoire d’autres grands systèmes français de hauts grades comme le Rite Écossais Ancien et Accepté (dont on retrouvera ici de nombreux grades) ou même – c’est plus surprenant – le Régime Écossais Rectifié. Un livre important que tout érudit maçonnique doit avoir dans sa bibliothèque !

Colette Léger [présentation et transcription], Les 81 grades qui fondèrent au siècle des Lumières le Rite Français, préface de Philippe Guglielmi, Co-édition Conform-Grand Chapitre Général du Grand Orient de France, collection Joaben hors-série, 3 volumes (264 p. + 264 p. + 328 p.), Paris, 2017, 74 €.

 


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